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Carnet noir (suite et fin) : « Solima », la souillée

jeune fille avec enfant

Dans cette troisième et dernière partie du carnet noir, la narratrice accouche pour une seconde fois. Grâce à Binta, la matrone du village, son bébé pourra voir le jour. La narratrice a 14 ans lorsqu’elle est mariée de force au vieux Madior. Enceinte pour la seconde fois en moins de trois ans, elle endure une grossesse à risques empirée par les complications liées à l’excision  et à une mauvaise prise en charge médicale.

Binta, la matrone, l’avait dit et répété. Elle avait mis en garde maintes fois : une seconde grossesse pourrait être risquée. Elle ne s’était pas trompée et n’avait exagéré en rien. Dès la première semaine de grossesse, les complications étaient au rendez-vous : nausées, maux de ventre, maux de tête. Chaque jour était une lutte pour rester en vie.

Les décoctions de Fanta, la première épouse du vieux Madior n’avaient fait qu’empirer les choses. Normal. Ce qu’elle préparait n’était ni plus ni moins qu’un mélange infecte d’ingrédients que nul ne pouvait identifier sans compter la quantité non négligeable de postillons qui venaient « renforcer » les formules supposées mystiques qu’elle prononçait. Une fois cette décoction nauséabonde prête, elle devait être bue d’un trait. Je pense que Fanta avait trouvait là une belle occupation. Elle qui s’ennuyait tant de ses longues journées venait apparemment de trouver un nouveau sens à sa vie. Elle s’était auto proclamée « guérisseur » du jour au lendemain. À son âge, qui osait remettre en question le « pouvoir magique » de ses « potions » ? Personne.

Il fallait donc boire ses décoctions. Cet empoisonnement dura une éternité. Quelques semaines avant le terme de la grossesse, Binta, la matrone du village supplia le vieux Madior de louer un véhicule afin que l’accouchement puisse se passer à l’hôpital et non au poste de santé du village. Pingre qu’il est c’est une charrette qu’il loua. C’est donc sur une charrette, sur une route cahoteuse, sous un soleil de plomb que le voyage se fit. Atroce. C’est le seul mot qui me vienne à l’esprit pour décrire ce voyage interminable. Qu’est-ce qui était le plus dur ? La chaleur ? L’état de la piste ? La poussière inhalée à chaque souffle, ou cette douleur atroce qui tenaille si fort le ventre des femmes enceintes? Tout ! Sans doute.

Les langues de vipère du village l’ont une fois de plus accusée d’oiseau de mauvaise augure quand elle, Binta a annoncé une grossesse à risques et a voulu que l’accouchement se fasse dans un hôpital. C’est donc elle qu’on accusa lorsque ma mère vidée de tout son sang n’a eu d’autre choix que de mourir. Ma mère une fillette de 16 ans qui venait d’accoucher d’une autre fillette : moi. Je l’imagine souvent gisant dans son sang, éreintée, transit d’amertume, hurlant de douleur ….en voulant à cette folle de société qui marie ses fillettes et les laissent mourir en donnant la vie. J’imagine, je sens au fond de moi sa rage …et je l’entends supplier la matrone  Binta de prendre soin de moi, sa fille, pour que j’échappe à cette dictature des traditions.

Grâce à Binta, j’ai pu réaliser le rêve de ma mère, celui d’aller à l’école,  d’y rester et de réussir. Cela ne s’est pas fait sans difficultés mais j’y suis arrivée. Avec mon diplôme d’assistante sociale, j’encadre les filles du village afin qu’elles aient de bons résultats à l’école. Avec Binta et deux autres matrones du village voisin,  nous organisons  des causeries avec les filles, les parents ainsi que les chefs traditionnels et religieux afin qu’ils puissent ouvrir les yeux et reconnaitre les conséquences néfastes de ces pratiques traditionnelles. Toutefois comme tout processus de changement, il faut du temps et de la patience, il faut de la constance dans l’effort mais par-dessus tout il faut privilégier le dialogue plutôt que la confrontation.

Car même si certains continuent d’ignorer les conséquences dramatiques de ces pratiques sous le prétexte du respect des traditions et coutumes, d’autres par contre, commencent à remettre en cause leur bien-fondé. Ma belle-mère a rejoint cette catégorie tout dernièrement. À mon grand bonheur. Elle, une « vraie » Soninké comme elle aime à le rappeler avait tenté de s’opposer quand son fils a voulu m’épouser. Moi, une « solima ».

Chez les Soninkés, ce terme désigne une fille non excisée, donc une fille impure, une fille souillée. D’ailleurs, il est mal vu de manger un repas préparé par une « solima ». Pendant deux ans, elle a refusé de manger quand j’ai cuisiné. Mais à force de discussions et d’interventions, elle a fini par reconnaitre et même par avouer que les drames causés par les mariages précoces et pratiques telles que l’excision était un trop lourd tribu à payer au nom de la « préservation » de la fille. De même elle a reconnu que la stigmatisation et la discrimination constituaient des attitudes négatives à ne pas encourager.

Elle, la « gardienne des traditions » a donné l’exemple. Pour la première fois, après deux ans sous le même toit, elle m’appelait non pas « Solima », mais Mariama.

Faty.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Auteur·e

fatykane

Commentaires

Safy
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Belle fin, au moins l'issue est rassurant et j'espère que le sort de toutes les filles dans la même situation soit pareil. Merci pour ce joli récit Faty :)

Faty Kane
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Salut Safy!
Oui ma conviction est que les choses finiront par évoluer! Mais ça prendra du temps.... la résistance est pas mal forte ;)
Bises