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Carnet noir (première partie) : Le vieux Madior

jeune fille avec enfantIl ne me demande jamais mon avis, d’ailleurs même si je disais ce que je pense, il me sermonnerait ou me frapperait. Selon son humeur du jour. Il passe son temps à me donner des ordres.  Je suis contente qu’il passe ses journées sous l’arbre à palabres avec les autres vieux du village. Mais ça ne change pas grand-chose. Tout le monde dans la maison a le droit de me donner des ordres. Je les déteste. Tous. Mais il ne faut pas que ça se voit. Je dois leur obéir.Je suis obligée de vivre avec cette famille. C’est mon père qui l’a décidé. Je n’ai pas voulu qu’on me donne en mariage au vieux Madior. Il sent mauvais. Je me suis enfuie deux fois depuis que je vis ici. Mais je ne peux plus recommencer. Je suis fatiguée d’être frappée à chaque fois que ma famille me ramène. Ses femmes sont méchantes, elles me crient dessus et me tapent. Ses enfants aussi. Ils sont plus grands et plus forts que moi. Je les déteste aussi. Fanta la première est aussi vieille que ma grand-mère. Elle pète tout le temps et me frappe aussi. C’est elle qui a dit que je devais arrêter d’aller à l’école. Je la déteste.

Moi je voulais être comme la matrone du village, Binta. Elle est jolie et tous les hommes du village la respectent. Personne ne lui donne d’ordres. Elle m’a dit que c’est grâce à l’école qu’elle est devenue matrone. Mais elle ajoute toujours qu’elle voulait devenir docteur mais elle a dû arrêter ses études. Ses parents ne voulaient pas l’envoyer à la capitale pour faire l’université. Elle pleure à chaque fois qu’elle dit ça.

Moi je ne sais pas pourquoi elle pleure. Moi je ne serais même pas matrone. Enfin je ne crois pas. Je ne sais pas comment je pourrais. Même si je le voulais, je n’aurais pas assez de temps. Je dois me réveiller à 5h du matin pour faire du feu et chauffer de l’eau pour le vieux Madior sinon il ne peut pas prendre sa douche. Et s’il ne le fait pas, il va encore sentir plus mauvais et je ne veux pas ça.

Après je dois balayer la concession, puis je dois préparer le petit déjeuner, et aller chercher l’eau au fleuve et c’est trop loin, vraiment. C’est ce que je déteste le plus. Quand je reviens je suis toujours épuisée mais je ne peux pas me reposer parce que je dois préparer le déjeuner. Le vieux Madior n’aime pas quand le déjeuner n’est pas près à l’heure. Il veut toujours manger avant la prière de 14 heures.

De toute façon, je n’ai pas le choix parce qu’il faut finir tôt pour commencer à piler le mil pour le dîner. Et je dois faire vite, parce que le vieux Madior doit dîner tôt. Après il faut que j’aille me préparer si c’est mon tour de dormir dans sa case. Quand ce n’est pas mon tour, je peux laver mes habits et passer un peu de temps avec mon bébé.

Enfin c’est ce que je faisais jusqu’à hier. Mais depuis hier ce n’est plus possible. La troisième femme de Madior a trouvé mon bébé qui ne respirait plus. C’est vrai qu’il était très malade. Il ne jouait plus beaucoup depuis 3 jours. La matrone a dit qu’il avait une infection. J’avais dis au vieux Madior que le bébé était malade mais il n’a rien fait. Moi aussi je ne savais pas quoi faire. Je pensais l’amener chez ma mère mais il n’a pas attendu. Il n’a plus voulu respirer. Je suis triste qu’il soit mort. J’aimais bien jouer avec lui. Il était si drôle. Le vieux Madior a dit c’est pas grave, je n’ai que 14 ans. Il a dit que je vais faire d’autres bébés mais…

Bon, je dois aller me coucher, le vieux Madior m’appelle.

Bonne nuit.

La suite de cette histoire est à retrouver ici.

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Cette histoire est fictive mais c’est la triste réalité de dizaines de milliers de filles en Afrique. Selon une étude de Plan (rapport BIAAG 2011), dans 47 des 54 pays africains, les filles ont moins de 50% de chance de moins que les garçons d’accéder au secondaire. Dans les pays comme le Bangladesh, la République Centrafricaine, le Tchad, la Guinée, le Mali, et le Niger plus de 60% des femmes sont mariées ou en concubinage avant leurs dix-huitièmes anniversaires.

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Une pensée à toutes les filles qui devraient jouer à la poupée et qui sont, malgré elles, des mamans.

Faty Kane

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fatykane

Commentaires

Isabelle GILLETTE-FAYE
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Merci Madame !

Faty
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merci, j’apprécie et je suis...homonyme.